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“Juste une étincelle”, ou le héros énervant

« Juste une étincelle », nouveau roman jeunesse de Thomas Scotto

justeetincelleQui n’a pas éprouvé un jour, dans sa vie, l’impression qu’il ne s’y passe rien, vraiment rien d’intéressant, quand tant d’autres plient, s’exaltent, aiment et souffrent ?
Au début de « Juste une étincelle », on ne peut donc que s’attacher à ce juvénile Titouan, avouant sa grande maladie de « banalité aiguë » à son amie Octavie.
Pourtant sa vie est comme celle des autres, pleine de ces petits riens qui la font tout entière. Une jolie vie qu’évidemment il ne voit pas comme telle. C’est cet aveuglement du héros qui fait basculer le récit, le rendant singulier.
On se surprend peu à peu à penser que ce garçon exagère, on aurait même envie parfois de le secouer et lui dire : « Merde, Titouan, ouvre les yeux ! » (ce que fait d’ailleurs très bien Octavie).
Parce que l’escapade nocturne avec Fabien, ce n’est pas rien, c’est même drôle, émoustillant, joli, échevelé jusque dans cette course-poursuite dont la chute m’a fait éclater de rire. Mais oui, Titouan devient un pré-ado tête à claques.
Et on pressent alors qu’une étincelle suffirait pour qu’il se mette à déconner à plein tube.
Et c’est dérangeant, un pré-ado qui déconne à plein tube. On est loin du petit personnage lisse de littérature jeunesse où l’enfant peut s’identifier à un héros qui lui offre en miroir sa générosité, son beau regard émerveillé, forcément curieux et innocent.
C’est sans doute dérangeant, pour un jeune lecteur, de se confronter à cette image-là, si peu ordinaire. Dérangeant et énervant parce que Titouan n’a rien d’un monstre, bien au contraire. Il ne voit pas encore que la vie peut être belle, aimable dans le sens qu’on peut l’aimer, c’est tout.
Mais il le verra un jour, peut-être, sûrement. Il y a tant de gens autour de lui qui sont là pour lui. Octavie est là. Et c’est un hasard, bien sûr, si dans son prénom on retrouve le mot vie. Elle, elle sait. Du pique-prune jusqu’à leur arbre, elle sait. Elle sait le trésor qu’elle a dans ses mains, sa vie, quand Titouan ne le sait pas encore.
Et c’est à mon avis une des grandes forces de ce roman. En campant ce jeune héros qui passe à côté de tout, Thomas Scotto bouscule le lecteur dans ses certitudes.
Est-ce qu’on a le droit de le trouver énervant, ce Titouan ? Bien sûr, qu’on en a le droit. Ce n’est juste pas très confortable… Et quoi ? Est-ce que c’est le but premier de la littérature, que de proposer du confortable ?
Et si, avec « Juste une étincelle » les jeunes lecteurs découvraient que la littérature, c’est aussi se confronter à l’autre dans ce qu’il a de mystérieux, d’énervant parfois ?
Et si la beauté de l’écriture de Thomas Scotto, inventive, sensible, drôle souvent, s’était mise au service d’un roman qui, à petites touches fines, invite à voir la vie autrement ?
Le temps peut-être pour Titouan de comprendre, tout comme le lecteur, que c’est lui, au final, le maître du jeu. Que personne ne pourra décider de l’étincelle à sa place : celle qui met le feu aux poudres, ou celle qui allume les bougies de la fête.

Juste une étincelle” de Thomas Scotto
Editions Nathan, collection “mes années collège”